du 12 au 20 février 2022, Montpellier (Région Occitanie, France).
et du 9 au 20 avril 2022, Simeyrols (Région Nouvelle Aquitaine, France).
horizons déployés Տեղակայված հորիզոններ
Absence, effet d’absence qui saisit lors de la première rencontre avec l’œuvre d’Arman Tadevosyan. Une absence pleine et entière occupe l’espace, retrait en un lieu de recueillement. L’œuvre d’Arman Tadevosyan porte au silence et à une profondeur peu commune. Des paysages vides de toute trace de vivant, des paysages abstraits, des paysages délicats, horizons déployés à la lisière de nos yeux, paysages qui nous déplacent, paysages en morceaux comme suite à un immense cataclysme qui ne pourra être chassé des mémoires. Puis, peu à peu, à bas bruit, le regard s’adonne aux motifs et suit les courbes, l’imaginaire entre tranquillement en mouvement, porte hors du temps, pousse en apesanteur. Intervalle suspendu qui s’offre, face à notre propre vacuité, funambule au-dessus de l’abîme.
« Importants aussi, sont le rôle et la signification de la couleur, celle-ci assumant la mission d'un médium intermédiaire entre le corps et la toile. », Vazgen Pahlavuni-Tadevosyan. La douceur des couleurs, des formes, des lignes apprivoisent nos craintes, la solitude se retire à condition de chercher l’étincelle qui peut rapprocher les humains.
Le format carré des tableaux renvoie à la croisée du transept conçu sur une base carrée, carré de la terre, et au-dessus de lui, le cercle de la coupole qui le coiffe. Pour l’architecture chrétienne, le carré de la terre est l’incarnation du principe céleste, il est complémentaire de celui du ciel. Il détermine le module géométrique de l’édifice : largeur de la nef et celle du transept. La religion afin de relier les humains ? Est-ce une des significations du format 30x30 cm ? Huile, argile, bois, toile sont les éléments qui constituent les œuvres qui nous observent et bâtissent par touches successives une église, « assemblée de citoyens » - au sens grec ancien.
Les triptyques, véritables retables sans image pieuse mais aux couleurs de métal comme si les objets du culte avaient été aplatis et qu’il ne restait d’eux que des plaques planes et polies. Aucun visage ne peut se refléter dans ces miroirs qui capturent la lumière. Serait-ce là l’écriture du manque ? « […] le christianisme est constitué dans un rapport à ce qui lui manque. Il y a ce tombeau vide, ce trou, cette absence, donc ce qui n’est pas là, ce qu’on ne peut ni savoir, ni posséder, et c’est ce qui fonde le christianisme et le discours chrétien. Il s’agit en effet de parler de ce point de vide et non pas en l’occultant. Peut-être est-ce de cela que témoignent les grandes cathédrales : il s’agit d’entourer un vide par de la représentation », Jean-Daniel Causse[1]. Est-ce ce manque qu’Arman Tadevosyan met en évidence ?
Dans les grandes toiles, un univers autre de l’artiste se dévoile. Des traces de corps marquent ces suaires tendus. « Ces empreintes de corps se dissolvent dans une brume colorée, cherchant avec elle un rapport organique, et tentant de restaurer les traces d'un être dans l'espace, le temps, l'histoire... », Gohar Smoyan. Les formes sont-elles en cours d’effacement ou bien de révélation ? Qu’est-ce qui, de ce passage silencieux, ressort et nous hante ? Le mystère de la création demeure à déchiffrer. « Les corps dans la peinture d'Arman Tadevosyan, isolés, mais aussi reliés, embrassés... continuent la danse de l'humanité, assument ses deux faces, le noir et le blanc, le mal et le bien, la tendance à la chute comme l'aspiration à la grâce... », Emmanuelle Costet. Est-ce cela qui s’avance, un appel à danser, à se voir léger au-dessus des décombres et à déployer nos ailes vers tous les horizons irréversibles?...
Alain de Caprile
Janvier 2022
[1] Élian Cuvillier, Jean-Daniel Causse, Traversée du christianisme, Montrouge, Bayard, 2013, p.201.
Catalogue de l'exposition: ici
DEUX VOIX POUR ''CORPS ISOLES''
Quelle est la genèse de cette série ?
Il s'agit d'un ensemble de grandes peintures à l'huile sur toile, rassemblées et montrées ici pour la première fois, dont les premières sont nées en 2005, à Gyumri, Arménie.
Dans le brouillard sociétal de l'Arménie actuelle – petite république caucasienne géo-politiquement assez isolée de ses voisins sur ses quatre frontières – la recherche d'un horizon plus clair coïncidait à cette époque pour Arman Tadevosyan avec celle des racines de l'art arménien : il a beaucoup regardé la peinture des églises qu'on ré-ouvrait dans cette ère post-soviétique, et qui était présente aussi dans un livre de l'héritage familial: des miniatures du Xème au XVIIème siècle.
Là, des scènes à deux personnage, statiques, hiératiques, sont légion: des annonciations surtout! Et ce n'est pas la moindre contradiction du peintre, d'avoir converti le motif minuscule de ces miniatures, en peintures très grand format!
Quand on l'interroge sur le surgissement de ce titre pour ses compositions, Arman Tadevosyan répond par un regard lui-même plein d'interrogation ...
Plus tard, il nous dira que ces mots résonnent à son oreille avec une certaine froideur clinique, comme issus du langage médical.
Echo peut-être à des peurs enfantines enfouies: le corps, n'est-ce pas aussi le territoire de l'angoisse de mort par excellence?... la source d'un sentiment intense de précarité? Mais un jour, il suggèrera quelques clés, à la source de son inspiration : la transfiguration contemporaine de tableaux anciens, tableaux de grands maîtres intensément contemplés, et qui l'ont marqué dans sa formation artistique.
Et quand on compare les fresques créées, avec le modèle qui les a inspirées, on peut alors pressentir que le peintre nous a livré une partie du mystère! Il est allé prélever des lignes, des motifs, dans des peintures désormais classiques, pour en saisir et en restituer la force, le mouvement... la pulsion, peut-être?
On pourrait préférer l'ignorer ?... Peut-être aimera-t-on, au contraire, deviner derrière la série «Corps isolés», ces figures, porteuses des principales constructions culturelles occidentales, qu'elles soient religieuses ou mythologiques : «Naissance de Vénus», «Adam et Eve chassés du Paradis», «Le baiser de Judas», «Crucifixion» ou «Piéta»... L'humble «Ronde des prisonniers» de Van Gogh, elle-même, vient prendre place dans ce résumé saisissant de la condition humaine!
Le Corps de Gloire des Saints de la peinture religieuse -rappelé ici comme de très loin- s'est toujours posé comme le strict envers du destin fragile, périssable, éphémère, du pauvre corps humain.
Les corps dans la peinture d'Arman Tadevosyan, isolés, mais aussi reliés, embrassés... continuent la danse de l'humanité, assument ses deux faces, le noir et le blanc, le mal et le bien, la tendance à la chute comme l'aspiration à la grâce...
Emmanuelle COSTET
Nancy, le 20 Janvier 2012
DEUX VOIX POUR ''CORPS ISOLES''
On assiste, dans la société contemporaine, à une tendance à la commercialisation du corps humain. On a oublié, par exemple, cette vieille sagesse judaïque, qui considérait le corps humain comme un micro-univers, connecté en permanence avec l'infini de l'Univers... On passe ainsi, peut-être, à côté d'une autre dimension du corps, celle d'un corps intouchable... irréel...
Arman Tadevosyan, lui, fait apparaître cet aspect «invisible» du corps.
Il le matérialise et laisse apercevoir son caractère physique et anatomique d'une manière surtout symbolique.
L'objet de sa peinture est l'être humain lui-même, «impressionné» sur la toile.
Cette impression, directe, brute, sans médiation, permet paradoxalement de voir apparaître dans le tableau, la trace spirituelle des corps.
Celle qui contient les complexes, la trace des évènements passés- parfois le refus, l'exil... parfois la découverte de ce qui était caché, voilé...
Ces empreintes de corps se dissolvent dans une brume colorée, cherchant avec elle un rapport organique, et tentant de restaurer les traces d'un être dans l'espace, le temps, l'histoire...
Parfois les relations de corps à corps, ou de corps à ombre colorée sont contrastées, parfois au contraire elles sont à peine visibles, créant l'impression que les corps sont en mouvement dans l'espace, pris dans un mouvement cosmique.
La dimension cosmique est primordiale pour le peintre: il crée un espace mental, donne une forme à des états d'âme issus de sa conscience, et se manifestant sous la forme d'images.
Les empreintes de corps, séparées de leur «moule», tentent d'atteindre une forme de libération.
Face à l'équilibre ainsi trouvé entre l'ombre colorée et les corps, on peut évoquer, peut-être, la théorie anthroposophe de Steiner: la composante physique de la couleur devient composante spirituelle.
Le vert/ intellect... le bleu/ renoncement à soi-même... le jaune/ catharsis... s'unissent pour devenir une création visiblement spirituelle.
Pour le percevoir, il n'est besoin que d'une vision, ou d'un regard … spirituels.
Gohar SMOYAN
Gyumri, le 11 Janvier 2012
Traduction :
Ani HAMALBACHYAN
et Emmanuelle COSTET
L'IMAGE ET LE MUR
Un mur... sur un mur, vers un mur, du mur, à travers un mur.
Le mur comme une métaphore importante de la conscience humaine.
L’espace de rencontre de la matière et de la pensée, frontière, séparation, barrière, mais aussi association, assurance, rassemblement.
Les images sur les murs... les fragments bibliques, moignons des mythes anciens.
Le cri de la nudité ''innocente'' de l'homme préhistorique et la convulsion pécheresse d'un homme de chair.
La lutte, la réconciliation, un hommage, un processus.
En regardant la série ''L'envol'' d'Arman Tadevosyan, on développe des associations d’idées et des pensées similaires. Le drame principal se joue sur la surface monochrome, lisse et multicouches. Le corps humain, chaud, touche la surface de la toile et en s’éjectant, continue sa vie quotidienne ordinaire. Le mouvement du corps laisse ses traces et en même temps se transforme en un espace mental, qui se remplit de la méditation et des projections du spectateur.
Importants aussi, sont le rôle et la signification de la couleur, celle-ci assumant la mission d'un médium intermédiaire entre le corps et la toile. La première étape de la créativité, c'est le contact, l'interaction entre le corps et la toile qui, grâce à la volonté et l'intuition de l'artiste, reçoit une certaine charge d'énergie.
L'étape suivante aspire vers les domaines spirituels, portant le sens symbolique. En transformant l'image en symbole universel, l'artiste laisse au spectateur l'honneur du déchiffrage, en l’invitant à devenir complice du mystère produit sur la toile.
Le cercle se ferme pour s’ouvrir ailleurs, au-delà du mur et de la toile, dans les vibrations de nos perceptions et de notre monde intérieur.
Vazgen Pahlavuni-Tadevosyan
Le Couvent, Recoubeau, 2015
(traduit de l’arménien par Haïkouhie Kazarian)
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