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Photo du rédacteurGalerie Borromée

romaric chachay

ICARE , La chute des apparences


Exposition du 4 au 24 octobre 2024

sur rendez-vous au 06 24 56 28 49


Vernissage le vendredi 4 octobre à partir de 18h30


Maison Galerie Borromée

968 avenue Xavier de Ricard

34000 Montpellier





ICARE

La chute des apparences

 

Avec le nom d’Icare résonnent celui de Dédale son père, ceux de Minos et de Pasiphaé, de Thésée, Ariane. Toute la mythologie grecque, porteuse, de nos mémoires occidentales, ressurgit. Un mythe aborde ce qui nous fonde, nous révèle le prix à payer, les risques encourus à suivre son désir, à vouloir repousser toujours plus loin les frontières de l’exploration et de la connaissance. Dans un mythe, la condition humaine du héros peut être soumise à une épreuve fatale.

Dédale, sur ordre du roi Minos, a inventé et bâti le labyrinthe afin d’y enfermer le Minotaure, créature mi-homme, mi-taureau. Accusé de trahison, Dédale et son fils Icare y sont emprisonnés par le roi. La seule possibilité de s’échapper est la voie des airs. Dédale, l’ingénieux artisan, s’empare de plumes, de fil et de cire, construit des ailes dont il connait les limites techniques. Il prévient son fils de ne pas prendre trop d’altitude sous risque de se brûler les ailes avec la chaleur du soleil, il lui indique de ne pas s’approcher trop près de la mer qui pourrait l’ensevelir dans ses hautes vagues. Père et fils, chacun mi-homme, mi-machine, portés par le vent, parviennent à s’évader du labyrinthe et à quitter la Crète. Dédale, prudent, ne vole ni trop haut ni trop bas. Icare est vite grisé par la sensation de liberté. Il oublie qu’il n’est pas oiseau. Son ascension spectaculaire l’enivre et lui fait oublier les conseils paternels. Les lois physiques sont implacables. Proche du soleil, la cire fond. Les ailes d’Icare deviennent défaillantes et incapables de le porter. Il tombe dans la mer qui portera son nom, la Mer Icarienne. Ce mythe, chaque génération le redécouvre et se l’approprie. Il continue de nous fasciner. Il nous instruit sur les limites de l’ambition humaine. Rêves et réalité arrivent parfois à se côtoyer… brutalement. Qui se souvient du vol de Dédale ? La chute d’Icare reste gravée dans nos mémoires. La chute d’Icare est un puissant symbole que nous trouvons, au fil des siècles, dans les arts, peintures, gravures, littérature… Face au Réel, la chute.

 

Chez Romaric Chachay, peinture après peinture, c’est la chute des apparences qui survient pour sa série : La chute (Icare). Dans l’exposition de cet automne, à la Maison Galerie Borromée, Icare se présente sans ailes, dans un corps féminin nu et rond qui ne correspond pas aux canons de la mode actuelle. Le corps n'a pas pris son envol. Il ne chute pas, il disparaît sous les éléments décoratifs. Le titre, sur le cartel, oriente notre imagination. Le mot chute donne à voir un corps non pas allongé sur le sol mais qui tombe. Le mot Icare, mis entre les parenthèses, fait remonter des souvenirs anciens. Romaric Chachay précise :  « Ces peintures traitent aussi d’une autre chute, celle de la représentation qui en arrive à se fragmenter, se dissoudre dans le motif (décoratif des tissus) ou dans la matière picturale même qui prend ainsi le pas sur ce qui est figuré. » Le corps s’estompe jusqu’à disparaître. La scène mythique devient nature morte en l’absence de représentation humaine. « Finalement, si on devait la voir comme une scène, la nature morte serait celle assez tragique d’un théâtre où chacun va tout seul, plus du côté de l’incommunicabilité du théâtre de l’absurde que de facéties moliéresques[1]. » La disparition du corps humain annonce-t-il la sixième extinction massive ? Si l’Anthropocène débute avec la Révolution industrielle au milieu du XIXe siècle quand atteindra-t-elle sa fin ? Tel Icare, les humains se sont crus capables d’aller haut, très haut dans l’exploitation de notre planète. Qu’est-ce qui nous attend ? Les générations à venir auront-elles un futur ?

 

Dans la série « Le millionième de dissemblance », certains titres évoquent, convoquent Narcisse, Janus. Le rattachement au monde antique témoigne de la pérennité visible de notre humanité. Les costumes changent, de nouveaux objets nous entourent, de nouvelles technologies se rendent indispensables mais au profond quelles sont les véritables différences avec nos lointains ancêtres ? Un regardeur, devant une œuvre, ne cherche-t-il pas la rencontre ? La rencontre avec lui-même, en Narcisse affronté. La rencontre du regardeur et du regardé, double face de Janus. Ce millionième de dissemblance permet ce que François Jullien nomme la dé-coïncidence. «  On sait que chez François Jullien, la coïncidence est négative, car aboutissant à la mort, tandis que la dé-coïncidence est positive, redonnant, de l’élan, de l’essor[2]. » Romaric Chachay, de par les créations qu’il expose, et de par les titres qu’il offre sur les cartels, crée ce millionième de dissemblance si crucial. Il met notre imagination au travail, facilite une rencontre. « C’est parce que le monde est foncièrement indisponible, comme le dit Harmut Rosa, qu’il faut se rendre disponible comme le dit François Jullien pour le rencontrer, de façon ouverte et non directement intéressée comme dans la sérendipité[3]. » Ce qui est offert dans l’exposition ce ne sont pas de simples images du quotidien mais des récits que chacun peut s’inventer ou retrouver au fond de lui afin de mieux se trouver, afin d’échanger dans un dialogue avec l’œuvre et avec ceux et celles, à ses côtés, qui la découvrent.

 

« Série Peintures coulures »: de nouveau un titre, Galatée, qui nous entraine vers la Grèce antique et la nymphe marine Galatée, « à la peau blanche comme du lait » d’où, sans doute, le lait qui jaillit du sein. Résumer Galatée, fille de Nérée et de Doris, au lait, serait réducteur. Romaric Chachay témoigne de son attrait pour la mythologie grecque. La légende d’Acis et Galatée, qui nous est parvenue grâce aux Métamorphoses d’Ovide, ne lui est pas étrangère. Elle nous ramène au thème même de cette série, à savoir les coulures. Par jalousie, le cyclope Polyphème précipite sur Acis un rocher arraché à l’Etna. Les filets du sang d’Acis qui sourdent de sous le rocher, Galatée les change en rivière dans laquelle elle se baigne chaque jour. La nymphe marine symbolise les coulures, les flots dans lesquels la vie circule, se perpétue, elle devient coulure sans jamais se dissoudre dans les flots qu’elle a engendrés. Voie lactée sur terre en miroir du ciel.

 

« Il faudrait laisser les mots s’étendre. Un mot jamais n’est replié sur l’étendue provisoire, limitée, de son usage par tel sujet, à tel moment et dans tel contexte. En amont d’un mot il y a son étymologie, son histoire, ses bifurcations, ses us et abus, ses compromissions de faux ami, ses courages politiques, ses audaces poétique. En aval il y a ce que je pourrais – ou, mieux, pourrai – faire de tout cela pour un désir nouveau : ce que je pourrais ou pourrai réinventer de ce mot, pour recommencer de le comprendre et de l’adresser à autrui[4]. » Les mots des cartels de Romaric Chachay savent s’étendre, en différentes couches d’acrylique ou d’huile sur les supports employés par l’artiste. Nos regards oscillent des titres du petit rectangle du cartel à l’œuvre du grand rectangle de la toile. Et la peinture s’adresse à nous dans toute son étendue. S’étendre pour mieux entendre. Icare, Narcisse, Janus, Galatée se réinventent dans l’art de Romaric Chachay et nous font saisir la lignée humaine dont nous sommes issus.

 

  Alain de Caprile

                                                                             Μασσαλια

                                                                              Été 2024


[1] Wajcman, G. (2022), Ni nature, ni morte – Les vies de la nature morte, Caen, Éditions NOUS, p.56.

[2] Darasse, H. (2023) Dé-coïncidence/Résonance – Cheminement personnel dans les concepts de François Jullien, in Pratiques de la dé-coïncidence sous la direction de Marc Guillaume et François L’Yvonnet, Paris, Éditions de l’Observatoire, p.189.

[3] Ibid., p.190

[4] Didi-Huberman, G. (2023), Brouillards de peines et de désirs, Paris : Les Éditions de Minuit, p.17.









Catalogue de l'exposition: ICI

avec des textes de Myriam OH et Zélia Abadie


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